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Le cloud, un tremplin vers l’informatique quantique

Clément Brauner & Sergio Werner
13 juillet 2023

Même si l’informatique quantique reste, pour une large part, un domaine expérimental, ses progrès sont si rapides que l’heure de sa diffusion à grande échelle approche à grands pas.

D’ores et déjà, il existe des systèmes parfaitement opérationnels qui permettent de toucher du doigt ses possibilités phénoménales.

Pour ne pas manquer ce virage révolutionnaire, les entreprises doivent s’emparer du sujet sans plus attendre afin d’identifier des cas d’usage, voire développer leurs premiers démonstrateurs (POC).

Rappelons toutefois que le quantique n’est pas adapté à tous les types d’usage. Il n’a nullement vocation à remplacer les systèmes classiques. En revanche, il apporte des capacités incomparablement supérieures à tout ce qui existe aujourd’hui lorsqu’il s’agit de réaliser des calculs complexes sur de très grandes quantités de données ou de paramètres. Le quantique se destine ainsi en priorité aux calculs d’optimisation (problème du voyageur de commerce…), de simulation (molécules, matériaux, systèmes thermodynamiques, systèmes vivants…) et à l’amélioration de modèles d’intelligence artificielle. Tous les secteurs sont susceptibles d’en tirer parti, mais on peut citer plus particulièrement la santé et les sciences de la vie, la finance, l’environnement, ou encore l’aéronautique. À l’image du calcul haute performance (HPC), le quantique sera d’abord réservé à la R&D avant d’être utilisé pour des calculs de plus en plus proches des opérations (supply chain, jumeau numérique…). Dans tous les domaines, accéder à des connaissances hors d’atteinte aujourd’hui, et cela dans des délais extrêmement courts, va ouvrir la porte à un cycle d’innovation radical et sans précédent.

Une hybridation des systèmes classiques et quantiques pour répondre aux besoins industriels

Pour amorcer ce tournant, il n’est cependant pas question d’acheter aujourd’hui son propre ordinateur quantique. En effet, la technologie reste extrêmement coûteuse et elle est loin d’avoir atteint sa maturité en termes de performances, de stabilité et d’outillage. En quelque sorte, ce serait comme acquérir un mainframe au début des années 1960. À la différence qu’à l’époque, l’achat était la seule solution pour être parmi les premiers bénéficiaires de l’informatique naissante. Aujourd’hui, il existe une alternative : le cloud. Le cloud est pour l’informatique quantique l’incontournable porte d’entrée technique et économique, et ce pour trois raisons principales.

Premièrement, le cloud permet, grâce à la mutualisation, d’accéder pour un coût accessible à des systèmes à l’état de l’art, hors de portée du commun des entreprises. Seuls les hyperscalers, quelques rares géants de la tech comme IBM et une poignée de startups très bien financées peuvent réaliser les investissements aujourd’hui nécessaires pour développer leur propre infrastructure quantique.

Deuxièmement, le cloud permet tester et choisir des technologies quantiques encore en chantier. Pour l’heure, aucun standard technique ne s’est encore détaché, et cohabitent diverses approches (pièges à ions, photonique, semi-conducteurs…) ainsi que divers langages de programmation (Cirq, Qiskit, , Q#…), sans que l’on puisse savoir lesquels s’imposeront. Le cloud évite le risque de se retrouver prisonnier d’un choix malheureux.

Enfin, troisièmement, le cloud permet de bâtir des solutions couplant informatiques quantique et traditionnelle. Désormais supérieures à ce que peuvent proposer des simulateurs basés sur une architecture classique, les machines quantiques peuvent d’ores et déjà être utilisées dans des programmes de calcul. En revanche, les plus puissantes d’entre elles à ce jour (433 qubits pour l’Osprey d’IBM) souffrent encore d’un « bruit » préjudiciable à leur fiabilité. Pour obtenir des résultats exploitables tout en bénéficiant du boost quantique, il est possible d’utiliser une machine quantique sur une partie des calculs restreints – par exemple, une simulation localisée – et de l’associer à un système traditionnel – par exemple, un modèle d’IA spécialisé  – pour explorer, analyser et interpréter les résultats obtenus. L’hybridation permet de mettre en place des chaînes de calcul de bout en bout en bénéficiant du meilleur des deux mondes, en permettant de profiter des capacités de calcul les plus adaptées en fonction des cas d’usage (CPU, GPU, QPU, …) et en fluidifiant l’expérience pour l’utilisateur.

Capables de proposer les deux types d’environnement, de les intégrer étroitement et d’y ajouter des services additionnels, les cloud providers miseront certainement sur de telles approches hybrides. Aujourd’hui, AWS et Azure, par exemple, proposent des IaaS quantiques, mais l’avenir appartient sans doute à des offres PaaS taillées pour les besoins des entreprises, incluant des outils de développement (traducteurs de code…), des outils d’analyse, des algorithmes et des cas d’usage usuels préparamétrés.

Vers un internet quantique souverain

Avant de se banaliser, le quantique demeura donc sans doute longtemps une technologie centralisée et mutualisée. Va par conséquent très vite se poser la question des conditions d’accès à un outil d’une telle puissance et de la sécurisation des résultats obtenus, qui seront souvent hautement confidentiels. Grâce aux méthodes QKD (Quantum Key Distribution) et PQC (Post-Quantum Cryptography), il sera possible de garantir une sécurité absolue sur les communications et de s’orienter vers la création d’un internet quantique. Le revers de la médaille est qu’il n’y aura alors aucun moyen de savoir qui emprunte le réseau et pour quoi faire. Il faudra par conséquent instaurer des règles et une gouvernance afin de s’assurer que les capacités exceptionnelles du quantique ne seront pas mises au service de desseins coupables. Il est possible que cela passe par un domaine réservé, à l’image du .gov américain, placé sous le contrôle d’un gardien (ce que fait déjà Google en restreignant l’accès de ses ressources quantiques aux établissements de recherche), ou bien par un processus de certification gouvernemental, comparable au cloud de confiance français. Consciente des enjeux considérables du quantique, et désireuse de ne pas manquer cette rupture technologique, la France s’est d’ailleurs dotée d’une stratégie ambitieuse, qui pourrait rapidement se concrétiser par l’émergence d’une offre de cloud quantique souverain.

Au moment où voient le jour les premières machines quantiques opérationnelles, le cloud apparaît ainsi comme un formidable accélérateur pour découvrir à moindre coût cette technologie, son potentiel, identifier les cas d’usage prioritaires et en tirer les premiers bénéfices. Se lancer dès à présent est aussi le moyen de développer les compétences et la culture adéquates : comme souvent face aux innovations technologiques majeures, la différence ne se fera pas par le niveau d’expertise technique, mais par la capacité à panacher les compétences afin de pouvoir en mettre toute la puissance au service de sa stratégie.

Auteurs :

Clément Brauner

Quantum Computing Lead
Clément est un manager chez Capgemini Invent. Passionné de technologie, il travaille aujourd’hui en tant que SPOC des activités quantiques en France et est membre du « Capgemini Quantum Lab » qui a pour but d’aider ses clients à monter en compétence sur les technologies quantiques, d’explorer les cas d’usages pertinents et de les accompagner dans leurs expérimentations et leurs partenariats.

Sergio Werner

Expert en Services cloud
Ingénieur aéronautique passé par les bancs de l’INSEAD, Sergio est un expert du cloud – public, privé et hybride, de l’automatisation et de la sécurité. Il a développé tout au long de sa carrière une très grande expérience dans les domaines du conseil et de la gestion, orientée innovation et industrialisation. Son parcours et son implication dans d’importantes missions de conseil et programmes de transformation à l’échelle internationale lui apporte une compréhension des enjeux globaux liés aux transformation cloud. Sergio est aujourd’hui responsable du Centre d’Excellence Cloud pour l’Europe Centrale et du Sud.